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Au-delà du projet de loi « immigration » : Vers une politique à moyen terme des migrations

Le Parlement discute actuellement d’un projet de loi, soumis au vote de l’Assemblée nationale début décembre, dont beaucoup savent qu’il ne résoudra en rien l’épineuse question des migrations. Constituant la 19e législation sur le sujet en 25 ans, le texte tel qu’il est adopté par le Sénat soulève de nombreux problèmes et suscite l’émoi légitime de nombreux parlementaires. Sans faire une analyse juridique fastidieuse, se dégagent au moins quatre sujets sur lesquels le projet ne répond pas aux besoins ou contient des propositions alarmantes. On esquissera sur ces points des pistes pouvant servir à construire une politique plus solide.

L’accès à l’emploi

Il est évident que l’accès à l’emploi doit être favorisé de manière à combler les besoins de l’économie et d’aider à l’insertion des arrivants. Les perspectives démographiques et la tendance lourde des besoins dans certains secteurs nécessitent une ouverture des marchés du travail, en France comme dans d’autres pays européens.

Les dispositions prévues initialement laissaient les préfectures décider des « cartes de séjour » spécifiques et des secteurs « en tension » concernés. Les risques d’arbitraire et la non présence des services du Travail et de l’Emploi étaient préoccupants. Tout cela a de toute façon été gommé par le Sénat ! Par ailleurs, l’idée classique maintes fois avancée de quotas par profession tous les 3 ans est ressortie des oubliettes. Bref, comme le disent deux économistes dans Le Monde du 18 novembre, « la France n’a pas de politique d’immigration, notamment économique »1.

Il importe que le processus d’accès à l’emploi soit clarifié par :

  • un texte de loi (et non la seule décision préfectorale),
  • une étude des besoins locaux associant directement les milieux économiques et les services de l’Emploi,
  • une demande de régularisation effectuée par l’individu lui-même (et non par son employeur).

Un message clair doit être produit, débarrassé des contradictions actuelles. Par exemple, on demande pour le dossier de régularisation des fiches de paye à quelqu’un à qui on a interdit en principe de travailler… Cherchez l’erreur ! L’expérience douloureuse d’être « sans papiers » ne doit plus être la voie principale d’accès au marché du travail pour certaines populations.

La simplification des procédures

L’objectif de simplification est louable mais le projet ne contient aucun allègement des textes et des titres de séjour actuels. Un audit de simplification devrait être entrepris.

En outre, les procédures françaises doivent tenir compte des dispositifs européens de contrôle aux frontières communes actuellement en cours de rénovation (Pacte européen Asile et Migration soumis aux États en 2024).

En ce qui concerne la législation nationale du droit d’asile, le projet croit atteindre l’objectif en réduisant la protection des demandeurs (juge unique, suppression de l’indépendance de l’OFPRA…). Rien n’est prévu par contre concernant les moyens et la formation des personnels des préfectures, engorgés de dossiers. Le fonctionnement et les moyens des centres d’accueil de demandeurs d’asile (CADA) doivent être revus, de manière à assurer leur rôle réel, surtout dans les zones les plus surchargées.

Le respect des personnes

Le projet ne prévoit rien concernant les conditions d’accueil des migrants. Il restreint le regroupement familial – par exemple, les frères et sœurs ne sont plus de la « famille » – et supprimait quasiment l’aide médicale gratuite, mesure jugée inappropriée et contre-productive par le corps médical et heureusement annulée par la Commission des lois de l’Assemblée nationale. Il va de soi que la protection médicale doit être assurée pour tous : le système actuel, qui constitue une fraction dérisoire du budget de la Sécurité sociale, peut, peut-être, être réexaminé mais en concertation avec le corps médical.

Passe encore que 37 associations spécialisées s’élèvent contre ces aspects2 (c’est tout de même un signal) mais même la Défenseure des Droits s’alarme de la dégradation organisée par le projet3.

L’expulsion des étrangers

Le nombre d’obligations de quitter le territoire français (OQTF) est tel qu’il est impossible de les exécuter (20% environ le sont). Elles sont de plus souvent contestées, alourdissant la charge des tribunaux. Ignorant ces faits, le projet actuel renforce les occasions de leur délivrance. Il serait préférable de rendre des décisions moins systématiques mais plus souvent exécutées pour les individus les plus dangereux.

Par ailleurs, la pression sur les pays rétifs à la délivrance du titre diplomatique nécessaire au retour de leurs ressortissants, prévue par le projet, est purement rhétorique. Elle a abouti, dans le passé, à des incidents diplomatiques et la position actuelle de la France en Afrique risque de l’entraver plus encore.

De nombreuses dispositions n’existent finalement que pour signifier à une opinion présumée « anti-immigrants » un « durcissement » à motif électoral. C’est accepter en fait une victoire intellectuelle des secteurs les plus conservateurs du pays et entériner une vision de l’immigré comme l’intrus qu’il faut empêcher de rentrer dans la maison, au mépris des très nombreux cas de sportifs, artistes, entrepreneurs, scientifiques et intellectuels immigrés ou enfants d’immigrés.

Proposer au pays une véritable politique des migrations

En l’état, le projet contient des mesures soit floues et injustifiées, à l’image de la « caution » pour les étudiants étrangers, soit irréalisables, soit franchement contraires aux principes républicains. L’image que donnerait le France en l’adoptant tel quel serait désastreuse, surtout pour un pays qui, malgré les déclarations officielles, n’a pas pris toute sa part de l’immigration arrivant en Europe.

Une vraie politique des migrations ne doit pas être une série de réglementations contrôlant les entrées, mais une action globale destinée à attirer ceux et celles dont la France a besoin dans tous les domaines, et conforme aux principes et à la culture qu’elle prétend représenter.

Reste donc à proposer au pays une véritable politique des migrations, à la fois humaine et réaliste, tenant compte des vrais intérêts des Français et des immigrants.

Un grand débat national, sous quelque forme que ce soit, sera nécessaire : au-delà des inévitables surenchères qu’il ne manquera pas de provoquer, il permettra de mettre sur la table des données incontestables, donnant ainsi l’occasion aux citoyens de se prononcer sur autre chose que des fantasmes ou des utopies. Les experts français susceptibles d’y contribuer ne manquent pas.

Au-delà, il faudra proposer une vision à moyen terme de cette question, fondée sur nos valeurs et notre conception du monde actuel. Une vraie politique des migrations ne doit pas être une série de réglementations contrôlant les entrées, mais une action globale destinée à attirer ceux et celles dont la France a besoin dans tous les domaines, et conforme aux principes et à la culture qu’elle prétend représenter.

Cette vision devra s’insérer dans une politique à l’égard des pays du « Sud » entièrement renouvelée, comme nous y incitent les changements géopolitiques actuels au Moyen-Orient, en Afrique et en Asie. Mais il faudra aussi que des moyens budgétaires adaptés soient affectés à cette politique, dont les fruits sont certains mais à moyen terme. Ce devrait être l’objet d’un prochain débat entre nous : entre les avocats du « no borders » et les tenants du « zéro immigration », entre les hérauts du mondialisme et les défenseurs de la fermeture, quelle est la position centrale que nous devrions promouvoir ?

Yves-Frédéric Livian est diplômé de Sciences Po Paris, docteur en sociologie et professeur émérite de sciences de gestion à l'Université Lyon 3. Il a enseigné en Algérie, Europe centrale, Pérou, Chine et, depuis dix ans, en Afrique de l'Ouest. Il a publié une trentaine d'ouvrages, dont certains en management international, et fait de nombreuses communications sur des thèmes africains. Militant du MoDem à Lyon, il est président d'une association culturelle d'arts premiers et travaille depuis douze ans comme bénévole dans une organisation d'aide aux étudiants étrangers.

Notes

  1. https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/17/le-manque-d-immigration-de-travail-handicape-la-france_6200707_3232.html
  2. https://www.ldh-france.org/projet-de-loi-asile-et-immigration-la-palme-de-linhumanite-et-de-la-deraison-revient-a-la-majorite-senatoriale/
  3. https://www.defenseurdesdroits.fr/projet-de-loi-immigration-la-defenseure-des-droits-alerte-sur-les-graves-atteintes-aux-droits

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