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La Politique Etrangère et de Sécurité Commune n’est pas pour demain

Voilà cinq ans que l’Union Européenne renouvelle ses sanctions vis à vis de la Russie, et ce sans grandes difficultés. Une prouesse pour une Union qui doute à juste raison de sa capacité à véritablement conduire une politique étrangère commune. Face à l‘annexion de la Crimée par la Russie les rangs se sont resserrés. Et comment ne pas sanctionner un comportement qui remet en cause non seulement le droit international mais tout simplement la paix en Europe? Même les plus poutinistes des européens comprennent que de tels agissement doivent être clairement sanctionnés. Mais cinq années de sanctions contre la Russie ne donnent pas à l‘Europe une politique étrangère commune. Ce n’est pas parce que le troupeau sert les rangs quand le loup surgit qu‘il a construit quelque chose. Ou même qu‘il a mis en place une vraie politique commune vis à vis de la Russie.

Le caractère inattendu et vraiment exceptionnel de l‘invitation à Paris de la chancelière et du Président de la Commission pour s‘associer à un entretien prévu entre le Président de la République Française et le Président chinois fin mars ne fait là aussi finalement que souligner l‘inexistence de diplomatie européenne.

Il est évident que l‘Europe offre ses faiblesses en pâture chaque fois qu‘un État européen poursuit seul sa politique étrangère. C’est à dire toujours. Triste réflexion que je me suis tant de fois faite lors de mes années passées en Russie et en Chine, à observer les efforts pitoyables des uns et des autres à vouloir toujours souligner le caractère privilégié de la relation entretenue entre tel État européen et la Russie ou la Chine, au plus grand plaisir de l’hôte russe ou chinois, tellement plus à l’aise avec cet État lilliputien plutôt qu’avec un géant européen qui s’ignore. Et malheureusement ce n‘est pas l‘initiative ponctuelle d‘un Macron qui change fondamentalement la donne.

Donc parlons vrai, inutile de verser des larmes de crocodile sur une politique extérieure européenne qui n‘existe  pas et qui n’existera pas tant que l’on ne sera pas sorti du principe de la souveraineté nationale. Si les peuples, les experts et les acteurs de cette myriade de politiques étrangères nationales venaient un jour à vraiment en percevoir les limites et les dangers, et s‘orientaient avec conséquence vers la construction d‘une diplomatie supranationale, alors on pourrait éventuellement envisager de sortir des simples voeux pieux actuels.

Il ne peut y avoir de politique étrangère européenne intergouvernementale

La conjonction hasardeuse des diplomaties des États européens est un phénomène ayant traversée déjà 2500 ans d‘histoire européenne et ne constitue en aucun cas ni une nouveauté ni un espoir pour l‘avenir. Pas besoin pour cela de créer de nouveau concepts compliqués. Quant aux incantations européistes qui n‘en finissent pas de rêver d‘un avenir européen radieux sans vouloir adresser aujourd‘hui les faiblesses de l‘édifice, elles ne sont plus seulement vaines mais finissent par être dangereuses tant elle sont devenues non crédibles et alimentent le populisme.

La relative coordination des positions européennes au sein des Nations Unies à laquelle on assiste actuellement est très certainement très positive, mais elle est à vrai dire logique face aux folies venant de toute part, et ne constitue pas malheureusement elle-non plus de véritable politique étrangère commune. Et inutile de s‘attarder sur les rivalités franco-italiennes en Libye ou sur les désaccords entre la Grande-Bretagne, la France et l‘Allemagne sur la position à défendre vis à vis de l‘Arabie Saoudite. Inutile aussi de se livrer à une brillante analyse de la politique menée par Madame Mogherini, qui la connait ?

Il n‘y aura de politique extérieure européenne que le jour où certains états auront décidé de réellement transférer à l‘échelon supranational européen un pan entier de feue leur souveraineté nationale. Ils le feront non pas par folle abnégation mais parce qu‘il seront convaincus et assurés de trouver dans l‘échelon européen un levier autrement plus efficace pour défendre leurs intérêts. Nous en sommes très loin. Non pas que l‘on n‘ait pas déjà pris conscience des limites de nos échelons nationaux, mais nous sommes aussi, et malheureusement avec raison, convaincus du caractère totalement inopérant de l‘organisation européenne actuelle.

Il ne peut y avoir de politique étrangère commune que portée par une véritable souveraineté commune

Je dis commune et non pas européenne car il serait aussi naïf de s‘imaginer que tout à coup l‘ensemble des États européens soient prêts à abdiquer de ce qui a fait depuis toujours un des cœurs régaliens de leur pouvoir. Soyons clairs ici également, pas un seul des grands États européens n‘est prêt à rentrer aujourd’hui dans cette logique pour eux suicidaire.

Il ne peut y avoir de souveraineté commune sans légitimité démocratique commune

L‘équation est ici théoriquement beaucoup plus simple et à vrai dire en partie déjà ébauchée. On pourrait facilement imaginer, malheureusement dans une réflexion purement théorique, que l‘on reconnaisse au Président d‘un exécutif européen le droit de proposer au Parlement Européen la nomination d‘un Ministre des Affaires étrangères. On pourrait même imaginer que ce choix soit porté par la seule compétence du candidat, indépendamment de tout critère de nationalité. On pourrait encore imaginer que ce ministre une fois nommé soit constamment redevable de sa politique devant le Parlement Européen et devant une Chambre Haute faite des représentants des États et des grandes régions européennes.  Ce serait bien sûr une politique étrangère beaucoup moins présidentielle que celle conduite en  France, mais la France n‘est peut-être pas le modèle de la démocratie parlementaire le plus achevé en Europe, et la légitimité démocratique ne saurait être d‘ordre présidentielle en Europe.

On m‘objectera sans doute qu‘entre une véritable politique étrangère commune aujourd‘hui non envisageable et la situation actuelle il y a de la place pour des petits pas concrets pour progressivement atteindre l‘objectif. Assurément, mais alors là aussi soyons honnêtes et utilisons les mots justes pour ne pas attiser les frustrations et des reproches que trop bien fondés.

Bref ce n’est pas au lendemain des élections européennes de Mai 2019 qu’une véritable politique étrangère commune verra le jour. Si elle existe un jour, elle sera la fille de crises très violentes puisque même les crises actuelles, qui ne sont pourtant pas négligeables,  ne parviennent pas vraiment à l‘enfanter. Patience et détermination, donc.

Crédits photographiques (photo de Federica Mogherini aux Nations unies) : Union européenne

Laurent Couraudon

Laurent COURAUDON poursuit une carrière bancaire internationale entre la Suisse, la Russie et la Chine, aujourd’hui à Berlin. Diplômé de l’ESM de Saint Cyr et titulaire d’un DESS de commerce international de l'université Strasbourg III Robert Schuman. Auteur de deux e-livres : Europe coupable, Europe solution et L‘Europe C‘est Nous.

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