Le cercle centriste de réflexion et de propositions sur les enjeux internationaux

Pour une diplomatie engagée de l’Europe sur le climat

« De tous les actes, le plus complet est celui de construire. »

Paul Valéry, Mauvaises pensées et autres

Face au climat, la stratégie de la patience n’est plus une option

L’évolution des conditions biophysiques de notre planète nous amène progressivement vers l’abîme. L’émergence quasi-simultanée sur le continent européen de mouvements sociaux contestant les politiques climatiques conduites est un premier avertissement. Ce n’est qu’un début. En Suède, c’est une jeune adolescente de 16 ans, Greta Thunberg qui est partie en croisade continentale pour alerter le monde qu’il n’y avait plus de temps à perdre. Devenue une icône planétaire en l’espace de quelques mois, elle symbolise à la fois l’espoir d’une jeunesse qui veut reprendre son destin en main et une certaine panique. Celle d’une perte du contrôle de notre destin. Au Royaume-Uni, c’est un autre mouvement qui a éclot. Le mouvement Extinction Rebellion qui se démultiplie dans le monde et a engagé une lutte pour provoquer la transition attendue. S’appuyant sur la désobéissance civile, ces citoyens engagés exigent que les Etats déclenchent l’état d’urgence climatique. C’est désormais le cas au Royaume-Uni.

En France, c’est un collectif d’ONG qui a mis en ligne une pétition, réunissant plus de deux millions de signataires, pour mobiliser les pouvoirs publics dans l’« Affaire du siècle ». Cette pétition vise à utiliser le levier de la justice afin que les pouvoirs publics puissent rendre des comptes à l’ensemble des citoyens. Autrement dit, ce collectif souhaite que « les droits fondamentaux soient garantis face aux changements climatiques »1. Encore une fois, l’État est mis devant ses responsabilités pour jouer son rôle d’arbitre, de régulateur et de chef d’orchestre dans le combat qui s’annonce.

L’inquiétude croissante nécessite une action collective forte et structurante. Les demi-mesures, les délais ne sont plus des options face à l’immense chantier à engager. Mais le vent de panique que ces mouvements diffus, désorganisés semblent dégager nous oblige à garder notre sang froid malgré le vertige du gouffre qui s’avance.

Dans le contexte européen, les États peuvent s’appuyer sur leur union pour enclencher un processus de transition – qui ne peut être que révolutionnaire quoique nous en pensions – permettant de limiter l’impact anthropique sur les conditions biophysiques du système Terre. Cet engagement de l’Europe est urgent et redonne une ambition lui permettant de se projeter comme une puissance d’influence dans le monde.

Les changements globaux : la nécessité d’un nouveau paradigme

La diplomatie européenne, esseulée face aux conflits au Proche et Moyen-Orient, connaît un essoufflement. L’absence de cette voix européenne est désormais flagrante sur l’ensemble des points chauds de la planète. Elle se traduit notamment par le manque d’initiatives fortes et structurantes auprès des chancelleries mondiales. Même à l’occasion du conflit ukrainien, la diplomatie européenne est apparue comme un accompagnateur du format de Minsk, réunissant aux côtés de l’Ukraine, l’Allemagne, la France et la Russie. De nombreuses raisons peuvent expliquer ce retrait progressif de la diplomatie européenne depuis deux décennies. Mais celle-ci peut trouver un nouveau sens et une ampleur inédite jusqu’à présent.

Un consensus peut se dégager face à un enjeu existentiel. Pour cela, l’Europe et ses membres doivent changer de paradigme. La bipolarisation du système international entre deux puissances – la Chine et les États-Unis – qui nous ramène dans une période connue durant le XXe siècle est source d’une instabilité croissante. Or, ce nouvel acte se joue dans une lutte effrénée pour les ressources naturelles. Des ressources qui s’amenuisent inexorablement à mesure où l’impact anthropique sur Terre s’accroit indéfectiblement.

Dans ce contexte géopolitique, l’Europe, berceau de cette Modernité qui nous a plongé dans cette crise écologique inédite, a son rôle à jouer pour apporter une alternative durable. Une troisième voie serait-elle possible pour engager nos sociétés dans une nouvelle condition soucieuse d’un équilibre entre la nature et l’homme ?

Pour cela, l’Europe se doit de redevenir un acteur crédible auprès de ses partenaires à travers le monde. À cet effet, des leviers d’action sont indispensables. Pour opérer ce changement de paradigme, il y a une nouvelle philosophie industrielle à concevoir et imposer. Le productivisme et le consumérisme ne peuvent plus être considérés comme l’alpha et l’oméga de notre fonctionnement en tant que système. La question n’est pas idéologique mais ontologique. La nature s’est invitée à notre table, nous ne pouvons pas en faire fi. Nous n’en avons pas le droit.

L’Europe, par le biais de sa diplomatie, peut déployer une politique ambitieuse à l’égard de ses partenaires. Mais un changement de cap est nécessaire pour peser dans le système international. Incontestablement la diplomatie européenne doit être équipée de leviers efficaces pour intercéder au sein de la communauté internationale.

Aussi, quels leviers l’Europe peut-elle concevoir pour accroître son influence et gagner une position de leadership sur les enjeux climatiques et environnementaux ?

Quelles pistes pour renforcer la position européenne ?

La lutte contre les effets du changement climatique en Europe, et au-delà sur l’ensemble de la planète, est une cause commune à l’ensemble de l’humanité. La signature des accords de Paris en décembre 2015 avait laissé présager d’un tournant diplomatique sur ces enjeux. Nonobstant cet accord, le respect des engagements par les États signataires ne correspond pas, pour le moment, à l’urgence de la mobilisation au sein des sociétés industrielles. 

Pour lutter contre cette désaffection, des pistes peuvent être suggérées pour esquisser des initiatives structurelles pour une diplomatie européenne proactive et influente sur ces questions.

D’une part, sur le plan institutionnel, les États européens pourraient renforcer le rôle du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité en lui conférant l’autorité et l’initiative en matière climatique et environnementale. Ce transfert serait considéré comme un signal fort face aux grandes puissances émettrices de CO2. Aussi, cette décision engagerait l’ensemble de ses membres sur une ligne diplomatique commune.

Pour aboutir à une telle réforme, l’harmonisation des politiques industrielles des États-membres qui vise à une économie de carbone neutre est incontournable. C’est une question de cohésion et de crédibilité. Or, la civilisation thermo-industrielle2, dont l’Europe fait partie, porte intrinsèquement en elle un certain nombre de nos contradictions. Tout d’abord, nous vivons dans un enfermement où le fondement de nos actions se fixe sur le niveau de notre croissance économique. Ces indicateurs élaborés dans une époque où l’abondance de ressources naturelles semblait inépuisable sont à présent obsolètes. Ensuite, la manière dont la société de consommation s’est structurée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale a déstabilisé notre environnement de façon systémique. Pour rompre ce cercle vicieux, il est nécessaire d’adopter des choix politiques en rupture agissant de manière globale et s’inscrivant dans un horizon à long–terme.

D’autre part, l’Union européenne pourrait fédérer un certain nombre d’États qui sont fragilisés par les conséquences du changement climatique. À cet égard, nous pouvons penser notamment à l’Alliance des petits États insulaires (Alliance of Small Island States). En agrégeant de nombreux pays issus des autres continents autour d’une ligne diplomatique offensive sur les enjeux climatiques, les pays européens se positionneraient en alternative crédible face aux grandes puissances. Face à la Chine et aux États-Unis, l’Europe pourrait rallier, autour d’elle, une large coalition de pays pour peser dans les négociations internationales sur les questions environnementales (climat, biodiversité, transition énergétique, etc.). En adoptant une ligne diplomatique entreprenante, et quoique radicale, face à l’urgence environnementale, l’Europe trouverait, dès lors, une caisse de résonance remarquable créant un nouveau souffle et relégitimant son ambition au sein de la communauté internationale.

Plus qu’une renaissance, l’Europe doit impulser la « Grande Bifurcation »3. En se dotant des instruments nécessaires, l’Union européenne serait en capacité de mobiliser ses peuples tout en faisant émerger une alternative au niveau mondial.

Crédits photographiques : Markus Spiske, 2019


Florian Vidal

Florian VIDAL est chercheur associé au Laboratoire des énergies de demain de l'Université Paris Diderot. Docteur en sciences politiques de l'Université Paris Descartes, également diplômé de Sciences Po Bordeaux (affaires internationales) et de l'Université Toulouse Jean Jaurès (histoire contemporaine).

Notes

  1. L’Affaire du siècle, site : https://laffairedusiecle.net/
  2. La notion de civilisation thermo-industrielle comprend les sociétés humaines dont l’organisation et le fonctionnement sont structurés autour des énergies fossiles.
  3. Jean-Michel Valentin, Géopolitique d’une planète déréglée, Paris, Seuil, 2018, p. 275 ; l’idée de bifurcation implique un virage entrepris par la civilisation thermo-industrielle pour opérer la transition du modèle socio-économique en tenant compte des facteurs environnementaux et énergétiques dans son fonctionnement.

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