Le cercle centriste de réflexion et de propositions sur les enjeux internationaux

Un centriste français s’engage en Afrique : l’initiative de Jean-Louis Borloo en faveur de l’électrification du continent africain

La perspective proche du premier grand discours du Président français Emmanuel Macron sur l’Afrique, prévu à Ouagadougou, au Burkina Faso, le 13 novembre 2017, est l’occasion pour le Cercle Agénor de mettre en évidence une initiative d’une figure française du Centre en Afrique : le plan d’électrification du continent africain de Jean-Louis Borloo. Présenté comme humaniste et pragmatique, ce projet incarne plusieurs aspects du centrisme mais suscite également des interrogations sur sa pertinence et son efficacité. 

Jean-Louis Borloo, un centriste historique au service du développement de l’Afrique

Jean-Louis Borloo est un centriste historique, ancien cadre de l’UDF, compagnon de route de Simone Veil et porte-parole de François Bayrou lors des présidentielles de 2002, fondateur de l’Union des Démocrates et Indépendants (UDI), confédération de partis de centre-droit. Retiré de la vie politique française début 2014, suite à des problèmes de santé, il s’est lancé cette même année, à 63 ans, un nouveau défi : contribuer activement à l’électrification de l’Afrique en créant et animant une fondation, « Energies pour l’Afrique ». 

Son constat de départ est simple et limpide. Plus de 600 millions d’Africains et d’Africaines n’ont pas accès à l’électricité, donc pas accès à la lumière, ni à l’eau courante, l’informatique, les services de santé, l’éducation, l’agriculture moderne, etc. Conséquences de ce sous-développement chronique, pauvreté extrême, pandémies, famines, chômage, conflits, terrorisme, etc., entrainent ensuite un exode massif de populations à la recherche d’un eldorado en Europe. « De l’obscurité naît l’obscurantisme », répète souvent l’ex-ministre centriste1. Outre la possible résorption de ces maux, l’électrification de l’Afrique constitue un potentiel de développement économique tant pour les pays africains que pour leurs partenaires européens.

Pour amener l’énergie aux 600 millions d’Africains qui n’y ont pas accès, M. Borloo estime, sur la base d’études économiques, que 200 milliards d’euros sont nécessaires sur une dizaine d’années, dont 50 milliards de subventions2.

En bon ancien avocat d’affaires, il s’est donc lancé dans un grand plaidoyer auprès des décideurs publics et privés français et internationaux.

Il a d’abord cherché à convaincre et mobiliser en France, dans les milieux économiques et diplomatiques. Avec un certain succès puisque les grands groupes français présents en Afrique, tels que EDF, Total ou Veolia affichent leur soutien. De même, le Président de la République François Hollande, qui a assisté à la présentation officielle du « plan Borloo » en mars 2015, et son ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius ont mis à sa disposition le réseau diplomatique français en Afrique. Appuyé par ce dernier, il a ensuite parcouru l’Afrique à la rencontre des dirigeants africains, et revendique le soutien en particulier de ses « frères et amis » Alpha Condé en Guinée ou Sassou Nguesso en République du Congo3. M. Borloo a également sollicité les institutions européennes, obtenant notamment du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, la mise à disposition, dès janvier 2017, de trois milliards d’euros par an pendant quinze ans (il en demandait quatre sur douze ans), lesquels sont supposés générer le triple par effet de levier, sous forme de prêts4. Enfin, jamais à court d’idée, l’ex-ministre centriste est parvenu à s’adjoindre le soutien du richissime prince saoudien Al Waleed Bin Talal.

Parallèlement à tous ces efforts, l’Union africaine a validé, en juin 2015, trois mois après le lancement officiel du « plan Borloo », la création d’une agence intergouvernementale, l’Africa Renewable Energy Initiative (AREI), dont le siège sera à Abidjan, décision sur laquelle Jean-Louis Borloo revendique une certaine influence.

Une démarche centriste, entre humanisme et pragmatisme

Le projet de Jean-Louis Borloo présente plusieurs caractéristiques du centrisme : une vision humaniste et une démarche pragmatique et rassembleuse.

Interrogé fin 2016, M. Borloo affirmait que son plan d’électrification pour l’Afrique constituait un « plan de paix ». Pour lui, « cette initiative pour l’Afrique est équivalente à celle de la Communauté européenne du charbon et de l’acier »5 dans l’Europe de l’après-guerre, une démarche transnationale vers une meilleure intégration d’un continent prometteur mais à la traine de la mondialisation. 

Mais pour la mise en œuvre de ce « plan Marshall pour l’Afrique », il revendique un certain pragmatisme : « Mon sujet, explique-t-il, c’est l’électrification. Il n’est pas question de dictateurs ou de démocrates, mais de lumière, et on a besoin des dirigeants, comme des grands acteurs du secteur privé »6.

Un projet et une méthode qui interrogent néanmoins

Depuis son lancement, l’initiative Borloo a cependant suscité de nombreuses critiques.

D’abord celle d’agir de façon paternaliste. Plusieurs dirigeants africains ont pointé du doigt une initiative aux relents néocoloniaux : « Nous partageons le même objectif, mais il trouve que nous n’allons pas assez vite, que nous ne voyons pas assez grand. Nous, nous pensons au contraire que, pour la première fois, des institutions africaines travaillent ensemble et que nous n’avons pas besoin de créer un nouveau “machin” pour faire progresser l’accès à l’électricité. En fin de compte, il continue à nous traiter comme des nègres qui ne peuvent pas faire les choses par eux-mêmes.7 » M. Borloo donne en effet l’impression d’agir comme si rien n’avait été pensé auparavant en Afrique sur ce sujet, alors qu’il existe de nombreux projets en cours, aussi décevants et imparfaits soient-ils.

Les critiques les plus dures viennent de personnes qui préfèrent ne pas être citées, comme ce haut responsable de la Banque mondiale : « Jean-Louis Borloo fait perdre du temps et de l’énergie à tout le monde, dit-il. Des dizaines de bons projets sont en cours que l’on ferait mieux de terminer plutôt que multiplier les réceptions et les discours.8 »

M. Borloo s’en défend. « Les chefs d’Etat africains en ont plein le dos qu’on leur fasse la morale alors qu’ils dirigent des pays avec un tel choc démographique, cinq fois plus d’habitants en cinquante ans, dans des conditions extrêmement difficiles », affirmait-il en 2015 à Paris Match9.

Mais on peut légitimement se demander si cette initiative originale ne risque pas de court-circuiter les institutions internationales telles que la Banque Africaine de Développement (BAD), qui, sans vraiment prendre en compte le « projet Borloo », est en train de peaufiner les contours de son « new deal » pour électrifier l’Afrique d’ici à 2025. 

Autre question : les milliards alloués à ce projet seront-ils bien utilisés ? L’ancien leader centriste balaie ces critiques en citant Victor Hugo : « Quand une idée est juste, elle finit toujours par s’imposer »10.

Trois ans après le lancement de cette initiative, quels résultats concrets ? 

En février 2017, Jean-Louis Borloo a annoncé la fin de sa mission qui, selon lui, est arrivée à bon port : « J’ai passé ma vie à défendre des causes. (…) Je souhaiterais maintenant me mettre au service d’une nouvelle action collective »11

Pour lui, le lancement, à l’issue de la COP 21, de l’AREI, projet mûri au sein des institutions panafricaines et approuvé par le comité des chefs d’Etat africains sur le changement climatique, marque la fin de son rôle de promoteur de l’initiative. Cette démarche a été plébiscitée lors de la conférence mondiale sur le climat, où plusieurs pays, dont la France, ont promis 10 milliards de dollars (8,8 milliards d’euros) pour installer 10 gigawatts (GW) de capacités électriques supplémentaires sur le continent d’ici à 2020. Le projet prévoit de porter à 300 GW d’ici 2030 la puissance des installations éoliennes, solaires et hydrauliques, soit un doublement des capacités énergétiques africaines actuelles. « J’ai lancé l’idée et assuré la coordination du projet. Ce sont maintenant aux Africains avec tous leurs partenaires associés à ce projet de conduire les opérations. C’est désormais l’AREI, lancé en 2015, au sommet de l’Union africaine, sur la proposition du président Macky Sall, qui sera l’instrument de ce vaste programme. », a-t-il déclaré au Figaro12.

Si certains membres de l’AREI contestent le lien entre l’initiative et le projet porté par M. Borloo, la démarche de ce dernier aura eu au moins le mérite de mettre en lumière une réalité à laquelle les opinions publiques occidentales ainsi qu’un certain nombre de dirigeants étaient assez peu sensibilisés. Elle a aussi contribué à la prise de conscience d’un phénomène majeur pour les années à venir, l’expansion démographique de l’Afrique, et de l’impérieux besoin de développement économique lié.

Jean-Louis Borloo sera-t-il une source d’inspiration pour Emmanuel Macron ? Les deux hommes se connaissent et semblent s’apprécier. L’ancien leader centriste a par ailleurs rencontré fin août 2017 les principaux ministres du nouveau gouvernement ainsi que le premier ministre Edouard Philippe lui-même, affirmant dans ce contexte que « c’est à partir de maintenant que le sujet peut devenir audible »13. Lors de la conférence des ambassadeurs qui s’est tenue à cette même période, le président Macron a annoncé sa venue prochaine en Afrique, dans les termes suivants : « L’Afrique n’est pas seulement le continent des crises, c’est un continent d’avenir, nous ne pouvons pas le laisser seul (…) Je me rendrai prochainement à Ouagadougou pour porter ce message »14

Gageons que le défi de l’électrification de l’Afrique sera abordé à cette occasion avec des propositions concrètes et que les efforts du centriste Borloo conjugués avec ceux des chefs d’Etat africains ne resteront pas vains.

Crédits photographiques (Photographie de Jean-Louis Borloo) : Claude Truong-Ngoc

Alice Le Moal

Alice LE MOAL est adjointe au Maire de Clichy-la-Garenne et Conseillère départementale des Hauts-de-Seine. Elle est par ailleurs membre du Bureau exécutif du MoDem. Diplômée de SciencesPo Bordeaux (relations internationales, 2010), passée par l'Ecole Nationale d'Administration de Cotonou, au Bénin (2007), elle a parcouru l'Afrique d'ouest en est, s'est engagée et a travaillé dans plusieurs associations humanitaires en France et à l'international (Afrique, Haïti).

Notes

  1. Antoine d’Abbundo, « Jean-Louis Borloo, l’homme qui veut apporter l’électricité à l’Afrique », La Croix, 26 juin 2015. URL : https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Jean-Louis-Borloo-l-homme-qui-veut-apporter-l-electricite-a-l-Afrique-2015-06-26-1328214
  2. Marion Douet, « Jean-Louis Borloo présente un plan de 200 milliards d’euros pour l’électrification de l’Afrique », Jeune Afrique, 3 mars 2015. URL : http://www.jeuneafrique.com/224760/economie/jean-louis-borloo-pr-sente-un-plande-200-milliards-d-euros-pour-l-lectrification-de-l-afrique/
  3. Joan Tilouine, « Jean-Louis Borloo en missionnaire de l’électricité africaine », Le Monde, 11 mai 2016. URL : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2015/12/02/jean-louis-borloo-lemissionnaire_4821922_3212.html#sy5D35H3AEmekYrP.99
  4. François Soudan, « Borloo, Electric Man », Jeune Afrique, 5 septembre 2016. URL : http://www.jeuneafrique.com/mag/354498/economie/editorial-borloo-electric-man/
  5. Christophe Forcari, « Pour donner de la lumière à l’Afrique, Borloo s’adjoint un prince saoudien », Libération, 2 décembre 2016. URL : http://www.liberation.fr/france/2016/12/02/pour-donner-de-la-lumiere-a-l-afriqueborloo-s-adjoint-un-prince-saoudien_15323065
  6. Joan Tilouine, op. cit.
  7. Laurence Caramel, « Coupure de courant entre Borloo et les Africains », Le Monde, 12 mai 2016. URL : http://www.lemonde.fr/afrique/article/2016/05/12/coupure-de-courantentre-borloo-et-les-africains_4917852_3212.html
  8. Joan Tilouine, op. cit.
  9. Interview de Jean-Louis Borloo par François de Labarre, « Jean-Louis Borloo l’Africain », Paris Match, 8 octobre 2015. URL : http://www.parismatch.com/Actu/International/Acces-a-lelectricite-Jean-Louis-Borloo-l-Africain-842205
  10. Antoine d’Abbundo, op. cit.
  11. Interview de Jean-Louis Borloo par Yves Thréard, « Je veux servir une nouvelle grande cause », Le Figaro, 14 février 2017. URL : http://www.lefigaro.fr/politique/2017/02/14/01002-20170214ARTFIG00276-jean-louisborloo-je-veux-servir-une-nouvelle-grande-cause.php
  12. Interview de Jean-Louis Borloo par Yves Thréard, op. cit.
  13. Interview de Jean-Louis Borloo, « Electrification de l’Afrique. Borloo souhaite un grand trait », Ouest France, 25 août 2017. URL : https://www.ouest-france.fr/monde/afrique/electrification-de-l-afrique-borloosouhaite-que-la-france-s-engage-5205392
  14. Discours du Président de la République Emmanuel Macron à l’ouverture de la conférence des Ambassadeurs, 29 août 2017. URL : http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-du-president-de-la-republique-a-louverture-de-la-conference-des-ambassadeurs/

Partager cet article sur

Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin