Le cercle centriste de réflexion et de propositions sur les enjeux internationaux

Pour une géo-politique des frontières européennes

« La guerre en Ukraine et l’aspiration de son peuple, mais aussi de la Moldavie et de la Géorgie à rejoindre l’Union européenne nous invite à repenser notre géographie et l’organisation politique de notre continent ». En lançant un cycle de réflexion sur les frontières européennes, le Cercle Agénor a pris au mot Emmanuel Macron, auteur de cette phrase prononcée devant le Parlement européen le 9 mai 2022. Les élargissements successifs réalisés, envisagés ou contrariés de l’Union européenne (UE), les conflits de plus en plus importants dans les voisinages de l’Union ou encore les problématiques liées aux migrations de populations vers l’Europe soulèvent, au fond, une question centrale, celle des frontières européennes. Quelles sont et que signifient nos frontières européennes communes, d’un point de vue géographique, politique, culturel ? Est-il temps de définir les frontières de l’UE, pour éviter de futurs malentendus, faux espoirs et conflits ? Comment penser la frontière de l’espace politique européen, avec ce que cela implique en termes de sentiment d’appartenance, de responsabilité citoyenne et d’Etat de droit ? La question est d’autant plus sensible et importante politiquement que le rapport à l’Autre, au voisin, au migrant, est instrumentalisé par des mouvements politiques populistes puissants, favorisant ici le repli sur soi identitaire, là le soutien aux régimes autoritaires et même antidémocratiques.

Les mouvements politiques qui professent au contraire l’humanisme, l’ouverture, la défense et l’approfondissement de la démocratie, ont le devoir de conduire une réflexion sur la frontière européenne pour proposer des réponses efficaces et pérennes aux préoccupations légitimes des citoyens européens comme aux problématiques du voisinage. L’enjeu est de construire et renforcer une Europe pacifiée et démocratique. Face à cette impérieuse nécessité, le Cercle Agénor a organisé à l’été 2022 un temps d’échange afin d’esquisser une vision « géo-politique » des frontières européennes, entre savoir géopolitique et action politique, en croisant les regards d’experts, de responsables politiques et de citoyens intéressés. Ces échanges sont retranscrits dans le présent numéro.

Le dialogue entre le géographe et diplomate Michel Foucher et le député des Français établis en Europe centrale et orientale Frédéric Petit permet de poser les bases de la discussion. Il contient deux idées-forces, convergentes. D’une part, la frontière de l’Union européenne est une frontière plus politique que géographique, dont la guerre russe en Ukraine révèle la délimitation pertinente, et qui oppose deux modèles irréconciliables : le modèle européen, démocratique, caractérisé par une expérience historique originale de médiation et d’association des nations, et le modèle dit « moscovite », impérialiste et antidémocratique, aujourd’hui incarné par le régime de Vladimir Poutine. D’autre part, cette frontière doit être pensée comme la limite d’un espace de responsabilité politique ou citoyenne, comme un repère à partir duquel le citoyen européen peut déterminer sa responsabilité et envisager une relation juste avec ses voisins.

Deux focus viennent compléter ce tableau général. Dans un second dialogue portant sur l’espace méditerranéen, « frontière méridionale » de l’UE, la politologue et spécialiste des migrations Catherine Wihtol de Wenden et l’amiral Pascal Ausseur mettent en évidence le fossé qui se creuse entre l’UE et la rive sud de la Méditerranée. La frontière y est vécue dramatiquement, comme une barrière et un tombeau pour les migrants qui s’y aventurent, et elle matérialise le ressentiment d’une rive sud qui, d’après M. Ausseur, ne croît plus autant en la promesse non réalisée du « modèle européen », économique comme culturel. Mme Wihtol de Wenden appelle l’UE à revoir en profondeur sa politique migratoire répressive, à l’échec patent, et envisager sa frontière comme un espace de mobilité. M. Ausseur, de son côté, ne voit pas d’autre remède à la divergence entre les deux rives qu’un vaste transfert de richesses vers la rive sud et un changement d’attitude des Européens pour plus de pragmatisme et de modestie, seule façon de relancer le dialogue régional sur une base juste.

Dans un troisième dialogue spécifiquement dédié à l’Europe orientale, « frontière orientale » de l’UE, le géographe Pascal Orcier et le politologue Mihai Sebe analysent un espace également traversé par de fortes divergences mais dont la limite est moins strictement déterminée, conséquence de la géographie et de l’histoire d’une zone d’intenses brassages interethniques. Ils évoquent la longue liste des ambitieux projets d’infrastructures lancés dans la région pour mieux l’intégrer dans l’espace européen, au-delà des frontières existantes mais, là aussi, face à la « butée » russe et accessoirement biélorusse. Cette « butée » sur des régimes antidémocratiques rend peu probable à court et moyen terme les perspectives de résolution des conflits, laquelle implique un dialogue démocratique. Mais les deux analystes invitent à être patients et ne pas négliger la force des changements que la guerre en Ukraine révèle, à commencer par la faiblesse du régime « moscovite » de Poutine.

Les débats démocratiques sont rarement unanimes. Celui-ci n’y fait pas exception en soulevant aussi plusieurs désaccords ou nuances très stimulants, à propos en particulier du rapport de l’UE à la Turquie et au voisinage méridional. Si notre projet aura permis d’esquisser une vision assez précise et cohérente de nos frontières européennes et quelques pistes concrètes d’action politique, la discussion reste donc très ouverte. La construction d’une Europe politique plus assurée et apaisée est un chantier en cours qui doit tous, Européens humanistes et démocrates, nous mobiliser.

Pierre-André HERVÉ est cofondateur et Président du Cercle Agénor. Consultant indépendant spécialisé en gestion des risques internationaux (Moyen-Orient, en particulier), il rédige par ailleurs une thèse de doctorat à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes (EPHE) sur l'histoire du confessionnalisme politique au Liban. Diplômé de l’université Paris I Panthéon-Sorbonne (géographie, 2010) et de SciencesPo (sécurité internationale, 2013), il a occupé diverses fonctions dans les secteurs public et privé. En 2017 et 2018, il était conseiller sur les affaires étrangères et la défense du groupe MoDem à l'Assemblée Nationale.

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