Le cercle centriste de réflexion et de propositions sur les enjeux internationaux

Témoignages : Marielle de Sarnez vue par ceux qui l’ont côtoyée

Nathalie Griesbeck

Ancienne Députée européenne entre 2004 et 2019 (Groupe ADLE), Secrétaire Générale du Centre européen Robert Schuman

Bien des personnalités éminentes – au premier rang desquelles, lors de ses obsèques, le Président Emmanuel Macron, et l’ami de tous les combats et de tous les instants que fut pour elle François Bayrou – ont évoqué avec pertinence et affection non seulement l’action publique de Marielle mais aussi l’importance de son engagement très précoce et efficace au service de notre pays et de ses institutions aussi bien qu’en faveur de la construction de l’Europe qui nous est aussi chère qu’à l’évidence indispensable.

Nul n’ignore combien elle s’y est montrée indéfectiblement attachée autant qu’active, tout particulièrement à travers sa présence constante et dynamique au sein du Parlement européen, elle a su diriger de main de maître et avec des résultats remarquables et à juste titre admirés la Délégation française de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe (ADLE), notre groupe parlementaire. Cette ligne de force, fruit de sa finesse d’analyse, en faveur de tous les membres de notre communauté nationale ainsi que de tous nos concitoyens européens et même bien au-delà, a trouvé à partir de 2017 et son élection à la présidence de la Commission des Affaires étrangères de notre Assemblée nationale, son prolongement naturel et son plein épanouissement, malheureusement si brutalement interrompu par son décès, qui a été ressenti par tous, comme aussi imprévisible que violent, incompréhensible et injuste.

Des folies humaines vues dans les camps de réfugiés à la frontière syrienne, libyenne, ou en Jordanie comme au Liban aux théâtres de révolutions en Amérique Latine ou place Maïdan, avec Marielle toujours attentive aux libertés comme aux plus modestes, nous partagions des combats et proposions des solutions concrètes au cœur du Parlement européen.

Comme nous étions très proches et qu’elle m’honorait de sa confiance comme de son amitié, elle m’a très tôt, dès l’apparition des premiers symptômes d’un mal alors encore largement mystérieux, avertie de ce qui nourrissait son inquiétude et, avec ce courage qui l’a toujours caractérisée et qui forçait l’admiration, dit en même temps son entière détermination à le regarder en quelque sorte droit dans les yeux et à le combattre de toutes ses forces. Seuls celles et ceux qui n’ont pas eu le privilège et la chance insigne de la connaître véritablement pourraient s’en étonner, tant la force d’âme, la lucidité et le courage vrais constituaient de toute évidence certains des traits dominants et, portés à ce degré d’intensité, une des singularités aussi mystérieuse que fascinante de sa si riche personnalité.

Et avec cela toujours prête à sourire mais aussi exigeante avec tous comme avec elle-même, elle savait, elle sentait ce que la vie offre d’inattendu, de singulier voire de sublime. Marielle savait aussi admirer profondément par exemple la beauté de la Mer Egée et de ses îles aussi diverses que nombreuses, si chères à son cœur, tout comme se laisser envahir et conquérir par le spectacle fascinant des icebergs dérivant dans le fjord d’Ilulissat dans l’océan Arctique ou des baleines s’y plongeant avec délice, qu’elle suivait d’un regard presque aussi émerveillé que peut l’être celui d’un enfant.

Et même si elle n’en parlait qu’assez rarement et toujours avec une infinie pudeur unie à une extrême justesse de ton et à beaucoup de fierté secrète, on ne pouvait la connaître d’amitié vraie sans sentir combien intensément elle aimait sa fille et son fils et l’attention extrême qu’elle portait à ses petits-enfants qu’elle adorait.

A tous ces traits comme à mille autres, on découvre son attention vraie à la vie dans ce qu’elle peut avoir de matériel comme de plus profondément mystérieux et qui participait à l’évidence pour Marielle de l’indicible. Car c’est ainsi que pour elle, comme pour le Poète, ici-bas « tout parle à l’âme en secret sa douce langue natale ».

Sandro Gozi

Député européen (Groupe Renew Europe), Secrétaire Général du Parti démocrate européen (PDE), ancien Député italien (2006-2018) et Secrétaire d’Etat italien aux Affaires européennes (2014-2018), coauteur avec Marielle de Sarnez de « L’urgence européenne » (Editions Thaddée, 2014)

Marielle, plus qu’une collègue était une amie que j’ai eu la chance de côtoyer à divers moments de ma vie. Nous avions une passion commune : l’Europe de la jeunesse. D’où notre engagement pour Erasmus Mundus, elle au Parlement européen et moi à la Commission. Avec François Bayrou, nous avons ensemble posé les bases du Parti Démocrate européen qui lui tenait tant à cœur.

Elle en France et moi en Italie, nous n’avons cessé de nous battre pour une Union européenne politique en soulignant l’urgence de la situation.

Je me souviens avec émotion des heures passées à écrire notre livre sous l’œil bienveillant d’Eric Jozsef, alors correspondant à Rome du journal Libération qui nous interrogeait et retranscrivait nos dialogues.

Marielle venait régulièrement à Rome. Elle y était chez elle. Lorsqu’elle séjournait à la maison, elle faisait partie intégrante de la famille. Nous avions une tradition : un passage obligatoire au restaurant Da Sabatino qui préparait pour elle une ricotta fraiche tout simplement exquise. Un régal. Marielle avait l’Europe dans la peau. Elle la vivait et toute sa carrière reflète son engagement européen. C’est un honneur pour moi d’avoir cheminé avec elle.

Jean-Louis Bourlanges

Député des Hauts-de-Seine (MoDem), a pris la succession de Marielle de Sarnez comme Président de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale en 2021, ancien Député européen (1989-2007)

Pour comprendre la vraie nature, ardente, généreuse et courageuse de l’engagement européen de Marielle de Sarnez et prendre la vraie mesure de ce qu’il y avait de différent et d’irremplaçable dans sa contribution à la cause européenne, il faut réfléchir à la peur. À la peur des autres, à la peur de l’avenir, à la peur du risque, à cette vision gluante et abâtardie du principe de précaution qui nous fait craindre tout ce qui pourrait nous déranger en changeant, en changeant le monde, en changeant autrui et en nous changeant nous-même, fût-ce-en mieux.

L’Europe telle qu’on la parle et qu’on ne la fait pas est paralysée par la peur, comme l’avait si bien senti Jean-Paul II. Elle est en fait à l’intersection de deux peurs principales. Celle des autres, bien entendu, mais aussi celle de soi. Celle des autres fait des ravages chez ceux qui bloquent et se ferment à l’aventure, et qui sont légion. Il y a chez eux, tapi derrière tous les refus, la crainte du différent, de l’inattendu, du mal connu, la méfiance envers tous ceux qui n’ont pas la même histoire, les mêmes références, la même perception du monde que les nôtres. Derrière le scepticisme affiché, il y a l’hostilité dont la méfiance n’est que l’antichambre, propre à tous les ankylosés de l’initiative et du don de soi qui ne veulent ni partager, ni jamais faire le premier pas.

C’est peu dire que Marielle de Sarnez n’était pas de cette race là. Le tableau que je viens de peindre de ces effrayés structurels, c’est son exact anti portrait. Notre Marielle n’avait pas peur. Tout l’inquiétait mais rien ne l’effrayait. Elle détestait les totems et les tabous. Elle voyait la souffrance, haïssait l’injustice, adorait la liberté, croyait à la vie. Elle avait aimé et partagé la révolution de la liberté en Ukraine – à qui pour le MoDem elle avait emprunté l’orange – la lutte des femmes d’Irak, de Syrie et d’Afghanistan, l’espoir des déshérités du Soudan et de l’Erythrée. Son engagement pour l’Europe auquel elle a voué les plus fortes et les plus ardentes années de sa vie tenait en un principe simple : comment transformer en identité dynamique l’altérité meurtrière du passé ? Comment faire de l’ennemi un ami, de l’autre une partie de soi- même ?

Il est toutefois une autre peur qui plombe l’ambition européenne, plus sournoise et d’apparence plus respectable, mais qui n’en est pas moins délétère, c’est la peur de soi, l’appréhension de son identité, la crainte en se retournant de reconnaître son ombre. Cette crainte est d’abord celle de l’Allemagne, tétanisée par son passé, qui lui fait voir derrière la politique le risque de l’arbitraire et derrière la force celui de la violence. L’Allemagne n’a toutefois pas le monopole de cette frayeur là : c’est plus ou moins toute l’Europe qui baigne dans la culpabilité. La dérive tragique de la raison et du cœur, des Lumières et du romantisme et leur commune descente aux enfers du stalinisme et du fascisme, rôdent comme un spectre autour de l’avenir de l’Europe, place ses Etats aux abonnés absents de l’histoire et transforment ses grands hommes en « trotte-menu de l’abandon », comme disait Charles de Gaulle. Marielle de Sarnez était, là aussi, totalement étrangère au confort moral de cette pusillanimité. Elle était dressée vent debout contre cette mise en cage de la volonté par le remords. Elle savait que la lutte incessante et la quête du bien commun sont les deux faces de la même médaille. Elle aimait donc la politique d’une passion brûlante et exigeante, comme le champion aime le risque calculé et le dompteur les fauves qu’il a su apprivoiser. Nulle n’était plus consciente qu’elle de ce que le grand impératif pour l’Europe de demain était de renouer avec la politique, c’est à dire dans son esprit, avec l’histoire, entendons par là la volonté qui fait l’histoire et la générosité qui la fait belle.

Oui, une Europe ouverte sur un monde solidaire, et une Europe politique, forte et respectée où se jouerait l’avenir de nos valeurs, de nos intérêts et de notre influence, voilà l’ambition et surtout l’exemple que Marielle de Sarnez, cette grande dame qui n’était au centre que parce qu’elle avait pris le meilleur de la droite et de la gauche, laisse en partage aux héros nécessaires de l’Europe de demain.

Gérard Deprez

Ministre d’Etat belge, Délégué Général du PDE, ancien Député européen entre 1984 et 2009 (Groupe PPE puis ADLE) puis entre 2014 et 2019 (Groupe ADLE)

Pendant près de 15 ans, j’ai eu la chance d’être un des collègues de Marielle de Sarnez au sein du Parlement européen. Elle était sans conteste, et elle reste, l’une des personnalités les plus riches et les plus attachantes que j’ai eu le privilège de rencontrer dans ma vie. Parmi les traits qui permettent d’approcher la force singulière de sa personnalité, il en est quatre que je veux mettre en exergue :

D’abord sa ferveur européenne. La ferveur est d’un tout autre ordre que l’engagement ou la conviction. C’est une inclinaison de l’être tout entier, elle est pour ainsi dire incarnée dans la personne, elle rayonne. Bien sûr, Marielle connaissait à merveille la mécanique institutionnelle européenne. Elle n’ignorait rien des cheminements complexes qui étaient nécessaires pour aboutir à une directive ou à un règlement. Elle s’agaçait des lenteurs bureaucratiques, des marchandages politiques voire des replis nationalistes qui empêchaient, dénaturaient ou retardaient les décisions qui, à ses yeux, s’imposaient. Mais son regard n’a jamais quitté la ligne d’horizon que sa ferveur dessinait : donner le jour à une communauté de destin démocratique et fraternelle de tous les citoyens d’Europe.

Son centrisme radical. Pour Marielle, la gauche et la droite appartiennent à un stade archaïque de la vitalité démocratique : des camps antagonistes qui se nourrissent de leur opposition au détriment de la synthèse guidée par l’intérêt général. Le Centre, c’est l’espace du débat, du dépassement des stéréotypes, là où le besoin de solidarité fait jeu égal avec la rationalité économique. Avec elle, être au centre, c’est rassembler sur des valeurs plutôt que diviser sur des intérêts.

Sa « francitude » exigeante. Pour moi qui suis un enfant de la « belgitude », Marielle était l’archétype même de la « francitude ». Pour elle, la France ce n’est pas seulement un territoire, un Etat, une nation. C’est une manière d’être, au confluent de l’histoire et de la culture, une articulation singulière avec la langue, un attachement aux territoires. Mais la France de Marielle, c’est aussi et d’abord une exigence. L’exigence d’être à la hauteur de son histoire, de forcer le respect, de ne jamais s’incliner devant les puissants, de cultiver la générosité, de modeler la fraternité. Pour elle, l’Europe a besoin de la France comme la France a besoin de l’Europe.

Son leadership naturel. Nul ne sait comment elle s’y est préparée, mais le fait était là : quand Marielle participait à une réunion elle ne cherchait pas nécessairement à s’imposer mais c’est quasi naturellement qu’elle donnait le ton. Son écoute des autres était réelle, mais le moment venu elle savait trancher sans état d’âme.

Ses manières n’ont pas toujours été exemptes de rudesse, mais elles étaient souvent traversées par des éclairs de tendresse. Pour toutes celles et tous ceux qui l’ont connue, Marielle de Sarnez reste et restera une personnalité politique hors du commun et une belle personne dans le sens le plus profond du terme.

Maud Gatel

Députée de Paris (MoDem), membre de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, ancienne collaboratrice et suppléante de Marielle de Sarnez

Les droits de l’Homme, la démocratie, l’Etat de droit constituent des valeurs essentielles de l’Union européenne, au fondement même de sa création. En tant qu’ardente Européenne, Marielle de Sarnez n’a eu de cesse de défendre ces valeurs dans son engagement, sur le territoire européen comme extra européen.

En 2004, elle se rend en tant que parlementaire européenne sur la place Maidan, à Kiev, afin de soutenir les Démocrates ukrainiens dans leur combat visant à réclamer l’organisation de nouvelles élections libres et démocratiques, après un scrutin présidentiel entaché de nombreuses irrégularités. Soucieuse de soutenir le processus démocratique en cours, elle rencontre les différents protagonistes, du Président ukrainien aux membres de la société civile ukrainienne. Une mobilisation pacifique qui se soldera par la décision de la Cour suprême ukrainienne d’organiser de nouvelles élections.

Fervente défenseure du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Marielle de Sarnez n’aura de cesse de soutenir les processus démocratiques, en Ukraine comme en Birmanie. Elle œuvrera également pour la libération des prisonniers politiques, d’Ingrid Betancourt à Aung San Suu Kyi en passant par les militants des droits de l’Homme en Chine. Et contribuera à ce que des populations ne soient pas oubliées, en pesant pour que l’Union européenne agisse, tant d’un point de vue diplomatique qu’humanitaire dans des conflits meurtriers, au Soudan ou en République démocratique du Congo.

Bernard Lehideux

Ancien Député européen entre 1998 et 1999 (Groupe PPE) puis entre 2004 et 2009 (Groupe ADLE), candidat aux élections européennes de 2004 et 2009 en Ile-de-France en n°2 derrière Marielle de Sarnez

Pendant son second mandat au Parlement européen, Marielle, Numéro 1 de la Délégation francophone du Groupe ADLE et donc Vice-Présidente du Groupe, avait la tâche difficile d’exprimer la position des Démocrates face aux libéraux anglais et allemands et de suggérer sur les textes importants la ligne qui maintiendrait, à Strasbourg mais également à Paris, l’équilibre de nos positions entre l’UMP et le PS. Ensemble nous avons défendu l’idée, toujours vraie, que la prochaine étape devait être l’Europe sociale et donc l’Europe fiscale. Nous avons aussi pris position contre l’adhésion de la Turquie et avons voté à deux reprises contre l’investiture de José Manuel Barroso.

Leader sur les combats essentiels, Marielle ne délaissait jamais ses convictions profondes. J’ai en mémoire le dépôt avec elle en 2005 d’une Déclaration écrite sur la reconnaissance par l’Union de la traite négrière et de l’esclavage ou le voyage que nous avons fait en Ukraine avec Nathalie Griesbeck. Marielle a pris la parole, avec conviction et force, devant l‘immense foule rassemblée sur le Maïdan qui sans la connaitre, voyait en elle l’incarnation du soutien des peuples frères et surtout la légitimité d’une élue au suffrage universel. Marielle a, pendant dix-huit ans, démontré inlassablement que l’Union n’est pas construite par des fonctionnaires apatrides mais par des femmes et des hommes choisis pour cela par les citoyens européens.

Hugues Dewavrin

Entrepreneur, Vice-Président de la Guilde européenne du Raid, ancien dirigeant du Mouvement des Jeunes Giscardiens puis conseiller de François Léotard

J’ai fait la connaissance de Marielle peu avant l’élection présidentielle de 1974. C’est donc une très longue amitié qui s’est si tristement évanouie avec son départ. Nous avons suivi des chemins politiques pas toujours identiques, souvent parallèles. Il y eu de longs moments de silence mais jamais de rupture car Marielle avait une qualité assez rare en politique : la fidélité en amitié. François Bayrou a parfaitement évoqué lors de ses funérailles sa capacité à constituer des bandes assez hors normes, au delà des clivages et des codes sociaux. Sa fille Justine a utilisé le joli mot d’archipel. J’étais dans la bande, dans l’archipel, c’était pour la vie…

Marielle a toujours été anticonformiste, curieuse et, désolé pour cette trivialité, assez gonflée. En octobre 2017, en revenant de Raqqa et de Mossoul, j’avais signé avec Sylvain Tesson – il m’avait accompagné en Irak – un récit de voyage dans Le Figaro qui l’avait visiblement intéressé : « J’ai lu ton papier, viens me raconter ». Je ne l’avais pas vu depuis plusieurs années et je retrouve Marielle, présidente de la Commission des Affaires étrangères, dans son grand bureau de la rue Saint Dominique avec, toujours, ce mélange de gentillesse, de courtoisie et ce soupçon de raideur inexplicable. Je lui raconte et je sens très vite qu’elle est passionnée. Sincèrement.

Autre qualité, rare, elle aussi : la suite dans les idées. Au cours de cet entretien, je lui parle de deux rencontres extraordinaires pendant ce périple : les créateurs du premier café littéraire à Mossoul, imaginé au lendemain même de la défaite de l’Etat islamique (ils avaient enterré les livres de la bibliothèque universitaire) et la jeune maire de Raqqa qui devait reconstruire l’ancienne capitale du califat dans un état proche de celui d’Hiroshima, Leila Mustapha, 30 ans à peine. Elle écoute, ses yeux brillent : « on va les voir ! ». J’ai cru sentir aussi à ce moment que les ors de la République commençaient un peu à lui peser. Des fourmis dans les jambes.

Il n’a fallu que quelques mois à Marielle pour se rendre à Mossoul puis à Raqqa, dans des conditions assez acrobatiques pour ne pas dire rocambolesques qui ont donné des sueurs froides aux autorités françaises. Elle avait pris soin d’en informer le président de la République qui, j’ai cru comprendre, a été assez épaté par la détermination de l’intéressée.

Au delà de la politique, des liens d’amitié se sont noués : nos deux jeunes Irakiens ont été invités en France reçus par la Commission, leur récit a été bouleversant. Une grande complicité est née de ses entretiens avec l’extraordinaire Leila Mustapha, à Paris, puis au Rojava. Marielle préparait son audition à Paris à la fin de l’année dernière, la maladie ne lui en a pas laissé le temps.

L’unanimité, la sincérité des hommages ont été entendus jusqu’en Irak et en Syrie. Nos amis ont été extrêmement attristés par son décès. Au delà des aspects politiques, son supplément d’âme avait profondément touché ceux qui venaient de vivre quatre ans d’une effroyable guerre.

Patrice Franceschi

Ecrivain-aventurier, auteur de plusieurs ouvrages consacrés aux Kurdes, dont le roman « S’il n’en reste qu’une », récit de la lutte des femmes kurdes contre Daech, qui vient d’être publié chez Grasset pour la rentrée littéraire 2021

Il existe sans aucun doute plusieurs manières de parler de Marielle de Sarnez : par exemple, de façon « classique » en décrivant, analysant et jugeant son parcours politique et humain, ou bien « in vivo », c’est-à-dire dans la vérité de l’action de terrain, concrète et quantifiable – ce qui me semble plus important quand on se préoccupe de politique véritable.

C’est sous cet angle que j’ai connu Marielle en 2017. Cette année-là, elle souhaita rencontrer et connaître les combattantes kurdes de Syrie luttant contre l’État islamique pour leur liberté et l’émancipation des femmes au Moyen-Orient. On était au tournant de la grande bataille de Raqqa qui allait voir la chute de la capitale de Daech. Marielle reçut les représentantes du mouvement kurde en tant que Présidente de la Commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Jusque là, rien que de très normal. Elle était dans son rôle de compréhension des grands enjeux internationaux et des intérêts sécuritaires de la France : les Kurdes se battaient contre notre ennemi commun et nous les appuyions de manière concrète dans cette guerre implacable. L’empathie dont elle fit preuve à l’égard de ces femmes, dès qu’elle eut saisi ce qui les habitait, n’avait rien d’exceptionnel non plus. C’était un trait commun des Occidentaux à cette époque. Les sacrifices consentis par ces combattantes étaient reconnus et suscitaient l’admiration.

Là où tout changea, c’est quand elle décida de se rendre officiellement au Kurdistan syrien malgré les périls de la guerre. Aucune mission de ce type n’avait encore eu lieu malgré cinq années de conflit meurtrier. Elle tenait à voir nos alliés sur place pour leur apporter un message de soutien de la part de la France. Elle voulait surtout convaincre notre gouvernement – et les parlementaires – de ne pas abandonner les Kurdes après leur victoire contre Daech, les islamistes étant toujours susceptibles de renaître de leurs cendres – ce en quoi elle avait vu juste, l’histoire lui donnera, hélas, raison. Elle porta tous ses efforts pour convaincre le Président de la République de la laisser partir et obtint gain de cause malgré l’opposition frontale de nos diplomates qui ne souhaitaient pas « froisser » la Turquie et n’avaient que faire des Kurdes.

On me chargea de l’accompagner là-bas. Je connaissais depuis le début de la guerre les différents protagonistes de cette affaire et je devais lui servir de « sherpa ». Je l’avertis que notre voyage, même bref, ne serait pas une partie de plaisir et se révélerait pour le moins inconfortable. Je me souviens qu’elle haussa les épaules en répondant : « Peu importe ». C’était bien parti…

Les premiers problèmes commencèrent dès notre atterrissage à Erbil, la capitale du Kurdistan d’Irak. Le chef du détachement de nos forces spéciales chargé d’assurer notre protection annonça d’emblée : « L’hélicoptère prévu pour vous emmener en Syrie est indisponible. Je ne peux vous proposer que des voitures, certes blindées, mais il faudra rouler de jour comme de nuit. Au moins treize heures de mauvaises routes pour atteindre Kobané. Vous devrez manger sur le pouce et je n’ai rien d’autre à vous offrir que des rations militaires… » Marielle lança : « Aucune importance. Et puisque la route est longue, ne tardons pas, en avant… » Le ton était donné.

Au cours des jours suivants, il ne fut guère question de bien manger et de beaucoup dormir. Je passe sur les détails : c’était le « terrain », le vrai, celui qui révèle ce que sont véritablement les gens. Je découvris Marielle telle qu’en elle-même : épatante, ne se plaignant jamais, énergique et battante, déterminée à tout voir et à tout comprendre malgré les risques physiques de la guerre. Elle se montra amicale avec nos soldats et soucieuse des choses humaines avec tous les Kurdes qu’elle rencontra, qu’ils soient de simples paysans ou de grands chefs politiques. Tout le monde l’apprécia et beaucoup lui montrèrent de l’affection. Elle s’émut de parcourir les ruines laissées par la grande bataille de Kobané, salua les dirigeants de Raqqa pour leurs efforts en faveur de la paix, retint son émotion devant la jeunesse des bataillons féminins kurdes qu’on lui présenta.

A son retour, elle se dépensa sans compter pour que le Parlement vote une résolution en faveur de nos alliés. Elle l’obtint à l’unanimité. Une grande première. Tout le monde lui en fut reconnaissant. Hélas, cela n’empêcha pas l’Occident d’abandonner les Kurdes à l’automne 2019, au moment de l’offensive turque contre eux. Elle m’invita alors à déjeuner pour me déclarer : « Il faut que nous retournions là-bas, je peux encore être utile. » Je lui dis : « Pas de problème, Marielle, je prépare tout ça. » Et puis la maladie survint – et l’on connaît la suite, malheureusement…

Tout ce que je puis affirmer en conclusion, c’est qu’on aimerait bien que nos hommes politiques, à l’avenir, prennent exemple sur Marielle de Sarnez. Le monde se porterait mieux.

Jean-Noël Barrot

Député des Yvelines (MoDem), Vice-Président de la Commission des Finances, de l’Economie générale et du Contrôle budgétaire de l’Assemblée nationale, Secrétaire Général du Mouvement Démocrate

En découvrant avec effroi, au cœur de l’été 2021, les images tragiques du peuple afghan en détresse tentant par tout moyen de fuir le nouveau régime taliban, je pensais à Marielle de Sarnez, à ce qu’elle aurait ressenti, à ce qu’elle aurait dit, et à ce qu’elle aurait fait. Car elle était plus que tout autre préoccupée du sort des plus petits et des plus pauvres. Et car l’indignation n’avait pour elle de sens que si elle précédait l’engagement. Sa profonde humanité, associée à sa vive intelligence et sa hauteur de vue, fut le ressort d’une action politique résolue au service des autres et du bien commun.

Après l’avoir guidée dans ses fonctions au Parlement européen, sa conscience aigüe de la nécessité de faire cheminer l’humanité sur un chemin de paix et de prospérité partagée aiguilla son mandat de présidente de la Commission des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale. On vit sa frêle silhouette et ses ballerines arpenter inlassablement les terrains de crise, à l’écoute des exilés et des persécutés, à la rencontre des responsables politiques et des organisations non gouvernementales. On entendit sa force de conviction chaque fois qu’elle prit la parole à la tribune de l’Assemblée nationale.

On lut avec le plus grand intérêt ses rapports parlementaires, auxquels elle consacra une énergie considérable et intacte jusqu’au dernier jour, bravant la maladie. Celui qu’elle rédigea en 2018 sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif est visionnaire. Il fallait la grandeur d’âme de Marielle pour embrasser un sujet si sensible et si vaste. Il fallait son indépendance et sa clairvoyance pour s’écarter des chemins empruntés et ouvrir des voies nouvelles : celle des migrations circulaires, celle de l’aide au retour volontaire, celle de l’assistance rapide aux pays de départ en cas de crise, entre autres.

Rapporteur spécial du budget de l’Asile, de l’Immigration et de l’Intégration, j’eus de riches échanges avec elle sur ces questions qu’elle maitrisait parfaitement. Ses réflexions lumineuses et ses prises de position courageuses auront, j’en suis convaincu, une influence considérable sur la politique de la France vis-à-vis des migrations amenées à s’amplifier dans les décennies à venir avec les désordres géopolitiques et le dérèglement climatique.

Sur ces enjeux brulants d’actualité comme sur tant d’autres, Marielle nous laisse en héritage une inspiration, une invitation à l’action : montrons-nous à la hauteur.

Crédits photographiques :

Photographie de Marielle de Sarnez : Parti Démocrate européen
Photographie de Nathalie Griesbeck : MoDem
Photographie de Sandro Gozi : Anne-Claude Barbier, MoDem
Photographie de Jean-Louis Bourlanges : transmise par Jean-Louis Bourlanges
Photographie de Gérard Deprez : transmise par Gérard Deprez
Photographie de Maud Gatel : Anne-Claude Barbier, MoDem
Photographie de Bernard Lehideux : Parlement européen
Photographie de Hugues Dewavrin : Guilde Européenne du Raid
Photographie de Patrice Franceschi : Valérie Labadie, transmise par P. Franceschi
Photographie de Jean-Noël Barrot : Jacques Giaume, MoDem

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