Le cercle centriste de réflexion et de propositions sur les enjeux internationaux

La « frontière européenne méridionale » en cartes

(Propos recueillis le 30 juin 2022 par Pierre-André Hervé, dans le cadre du cycle de réflexion du Cercle Agénor sur la géopolitique des frontières européennes, et reproduits dans le numéro de mai 2023 de la revue du Cercle)

L’espace méditerranéen fait l’objet d’attentions diverses selon les Etats européens, et malheureusement trop souvent réduites à la question des migrations, surtout illégales, au détriment des autres problématiques. L’attention se focalise légitimement sur les points chauds voire les drames souvent liés à cette question migratoire (Lampedusa, Mer Egée…) mais la Méditerranée est un vaste espace, aux enjeux multiples.

La Méditerranée occidentale

La Méditerranée occidentale apparaît comme un espace globalement pacifié, si l’on excepte les tensions répétées entre l’Espagne et le Maroc portant sur la possession de micro-territoires. Elle reste cependant un lieu de revendications maritimes, affirmées en application des principes de la Convention sur le droit de la mer mais qui se heurtent ici à des interprétations différenciées. Il existe par exemple un désaccord entre la France et l’Espagne à propos d’une zone située au nord des Baléares, et entre l’Espagne et l’Algérie à propos d’une autre zone située cette fois-ci au sud-est de l’archipel espagnol. Se pose ainsi la question de la territorialisation des mers et de la nature des relations entre les différents Etats concernés. Ces revendications sont liées à des campagnes de recherche d’hydrocarbures entreprises en particulier sur les côtes algériennes. Un autre enjeu est la sécurité maritime, avec l’augmentation du trafic, des risques liés à la navigation maritime, au gigantisme des navires qui empruntent les voies navigables. Dans leurs espaces maritimes de souveraineté, les Etats doivent déployer des moyens colossaux pour contrôler les flux, légaux comme illégaux, et porter assistance à des navires en cas d’avarie.

La Méditerranée orientale

La Méditerranée orientale est un espace sur lequel se concentrent les enjeux géopolitiques et stratégiques, renforcés ces derniers mois par le blocus de la Mer Noire provoqué par la guerre russe en Ukraine. En conséquence de ce blocus, le blé ukrainien qui ne peut plus être exporté depuis les ports ukrainiens transite tant bien que mal par les ports grecs, tandis que la Bulgarie et la Roumanie redéploient aussi leurs échanges maritimes, en raison des restrictions au franchissement du Bosphore et des Dardanelles. La question migratoire fait également l’objet de tensions répétées entre la Grèce et la Turquie. Cette dernière, qui a proclamé la doctrine de la « Patrie bleue », au nom d’une volonté de puissance et d’une injustice présumée datant du traité de Lausanne que Erdogan entend réparer, revendique des espaces maritimes qui, en vertu du droit international, appartiennent ou pourraient appartenir plutôt à la Grèce et à Chypre. Ces revendications relèvent d’un enjeu de puissance auquel s’ajoutent des arrière-pensées économiques, en particulier à cause du gaz repéré en Méditerranée orientale et déjà exploité par Israël, l’Egypte et bientôt Chypre. L’enjeu est également important pour l’UE puisqu’elle y voit l’occasion de diversifier son approvisionnement en gaz depuis les gisements chypriote et israélien. Sur le plan militaire, la Méditerranée orientale reste par ailleurs un espace très surveillé compte tenu des foyers de tensions très proches (Syrie, Liban, Palestine). En raison de l’alliance renforcée entre la Russie et la Syrie, une route baptisée « Tartous-Express » était avant la guerre en Ukraine régulièrement empruntée par les bateaux de guerre russes pour permettre de ravitailler le régime de Bachar El-Assad en armements tout en garantissant la présence russe en Méditerranée. La présence d’autres flottes nationales dans la zone et la nécessaire sécurisation des flux transitant par le Canal de Suez achèvent d’indiquer le caractère hautement stratégique de cet espace où l’Union européenne, qui s’est construite contre l’idée traditionnelle de puissance, est mise au défi de revendiquer un statut de puissance.

Crédits cartographiques : Pascal Orcier, 2022

Pascal Orcier est professeur agrégé et docteur en géographie, ancien élève de l’Ecole normale supérieure de Lyon. Enseignant en classes européennes au lycée Beaussier de la Seyne sur Mer (Var), il a également enseigné à l’université Jean Moulin Lyon 3 et en classes préparatoires au lycée Stanislas de Cannes. Cartographe, formateur académique, il a participé à de nombreux ouvrages de géopolitique et manuels scolaires. Spécialiste des pays baltes, en particulier de la Lettonie, Pascal a aussi travaillé sur d’autres régions dont la Méditerranée et le Moyen-Orient. Il est notamment l’auteur d’un Atlas du Moyen-Orient, paru en 2020.

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