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Crispation souverainiste contre urgence climatique : une controverse franco-brésilienne

Souvenons-nous l’été dernier : alors que l’Amazonie était en flammes, le président français est intervenu publiquement pour réprimander son homologue brésilien, en marge du G7 auquel ce dernier n’avait pas été invité. Le point le plus bas des relations franco-brésiliennes qui se sont tendues depuis l’élection du « Trump des Tropiques ». Si les provocations de Jair Bolsonaro ont fait du bruit en France, les critiques d’Emmanuel Macron soulèvent aussi de nombreuses questions au Brésil : quelle légitimité a-t-il pour intervenir ainsi ? N’est-ce pas de l’ingérence pure et simple ? Peut-on considérer les « crimes écologiques » au même niveau que les crimes contre l’humanité ?

Il y a là une nouvelle illustration des difficultés dans les relations Nord-Sud lorsqu’il est question de développement économique et du désaccord profond sur le constat et les actions à mener face au réchauffement climatique. Des questions essentielles pour l’avenir de la gouvernance et les réponses aux défis de l’Humanité.

Ce Brésil qui n’y croit pas

Jair Messias Bolsonaro est originaire de l’État de Rio de Janeiro. Descendant d’immigrés italiens, il a fait ses études dans un collège militaire pendant la dictature brésilienne (1964-1988) avant de faire carrière dans l’infanterie. En 1988, alors capitaine, il est expulsé de l’armée, soupçonné de vouloir faire exploser des bombes artisanales dans l’enceinte même de son régiment. Deux ans plus tard, il est élu conseiller municipal de la ville de Rio sur un programme tourné vers l’amélioration de la qualité de vie des militaires, alors que la dictature se termine. Il saute les étapes pour devenir directement député fédéral et siégera à Brasilia jusqu’en 2018, passant par six partis politiques différents, mais toujours avec l’appui du même électorat.

« Bolsonaro rassemble une base électorale solide désignée par le sigle BBB : Bala, Boi, Biblia (les balles, le bœuf, la bible) »

Avec les années, le souvenir de la dictature s’estompe. Il faut dire qu’au Brésil elle n’a pas été aussi meurtrière qu’en Argentine ou au Chili. Bolsonaro candidat bénéficie d’une conjoncture favorable : d’abord un essoufflement des effets de la politique sociale du Parti des Travailleurs (PT), après dix ans de pouvoir tenu par Dilma et Lula. Puis la stigmatisation : la corruption au Brésil c’est le PT, il faut qu’ils partent. Cette rengaine est favorable à l’ordre moral et militaire, remède au communisme et à la corruption. C’est sur ce discours que Bolsonaro rassemble une base électorale solide désignée par le sigle BBB : Bala, Boi, Biblia (les balles, le bœuf, la Bible) :

  • « Les balles » ce sont principalement les militaires négligés selon lui par le PT, dont les dirigeants étaient membres de la résistance. Les militaires ont vu en Bolsonaro une opportunité d’améliorer leur influence et leur image, et certains gradés ont ainsi participé au débat public via Twitter ;
  • « Le bœuf » désigne les ruralistes, ces grands propriétaires terriens qui adhèrent au discours climato-sceptique du candidat et demandent de nouvelles autorisations pour utiliser des pesticides jusque-là interdits ;
  • « La Bible » c’est le discours moraliste, les valeurs traditionnelles et la famille nucléaire. La proximité de Bolsonaro avec les pasteurs des plus grandes églises évangélistes du pays lui offre une réserve de voix incontournable pour un succès présidentiel. La croissance des évangélistes est due à l’élitisme et la déconnection de l’Eglise catholique traditionnelle, ainsi qu’à la faillite selon eux des promesses morales républicaines.

L’économie pour les nuls

« Ordem e Progresso, l’ordre et le progrès de la devise brésilienne, sont deux valeurs absentes selon ses électeurs. Pour ce progrès ils sont prêts à tout sacrifier, même l’Amazonie. »

« Ordem e Progresso », l’ordre et le progrès de la devise brésilienne, sont deux valeurs absentes selon ses électeurs. Pour ce progrès ils sont prêts à tout sacrifier, même l’Amazonie. Le Brésil est un pays extractiviste, dont l’économie repose principalement sur l’exploitation des ressources naturelles (2e producteur mondial de fer, 4e de potassium…), du pétrole (le pré-salé, gigantesque réserve de pétrole off-shore) et de produits agricoles (maïs, soja, viande…). Jair Bolsonaro est donc prêt à tout pour favoriser ces exportations. Comme baisser artificiellement la valeur du réal : il était en décembre 2019 à 4,70 R$ pour 1€ alors qu’en 2010 le même euro équivalait à 2,90 R$. Ou encore négliger des crimes environnementaux comme l’effondrement du barrage de contention de résidus de fer dans la ville de Mariana, ou encore la marée noire qui a ravagé les côtes du Nordeste, sans demander de compte aux entreprises responsables. La permissivité du gouvernement Bolsonaro face aux crimes environnementaux est inédite. Le ministère de l’environnement a été relégué à un secrétariat d’État dépendant du ministère de l’agriculture et son secrétaire d’État, Ricardo Salles, un avocat, n’a pas été nommé en raison de son activisme pour l’environnement mais bien pour son zèle à faire élire le Président avec son groupe de réflexion conservateur Movimento Endireita Brasil (MEB), traduisible de deux manières : mouvement pour droitiser ou redresser le Brésil. Depuis sa prise de fonction, Salles a réduit les dotations des agences de protection de l’environnement (IBAMA, ICMBIO…), diminué les parcs nationaux en taille et en nombre ainsi que les réserves indigènes, assoupli les contrôles de conformité environnementale auprès des entreprises polluantes et même menacé de sortir de l’accord de Paris. Des mesures présentées comme un remède à une économie moribonde.

Des difficultés à donner l’exemple

La France et l’hémisphère nord vivent cet été 2019 avec les températures les plus élevées jamais enregistrées. Le spectre de la canicule de 2003 et ses milliers de morts est dans tous les esprits. 2003 c’est d’ailleurs l’année de naissance de Greta Thunberg, qui avait commencé son « Skolstrejk for Klimatet » un an avant le G7 de Biarritz, et la détermination de la jeune Suédoise avait déjà fait le tour du monde. Ce G7 n’était pas spécialement orienté vers les questions climatiques, la présence du président américain compromettait tout abordage frontal du sujet. Mais en cette saison sèche dans l’hémisphère sud, on enregistre un nombre record de foyers d’incendie. Dans la forêt amazonienne, Bolivie, Pérou et Brésil sont durement touchés. Alors que les présidents des nations andines se dépêchent sur place et mobilisent des moyens extraordinaires pour combattre les flammes, du côté brésilien rien d’anormal, c’est la saison sèche… La France, pays amazonien également touché, intervient et pointe du doigt la politique écocide du gouvernement Bolsonaro. Mais un faux pas de communication vient donner un contre argument au président brésilien. L’image d’illustration du tweet incriminé d’Emmanuel Macron a été prise par Loren McIntyre, photographe mort en 2003. La photo, malgré sa qualité esthétique est donc datée. L’Amazonie brûle toujours mais on s’écharpe sur l’illustration du problème. Les incendies sont si conséquents que le ciel de Manaus, capitale de l’État, mais surtout celui de São Paulo à des milliers de kilomètres plus au sud s’obscurcissent. Le 19 août 2019, il faisait nuit à 15h dans la ville la plus peuplée du pays. Le président brésilien s’égosille à dénoncer une intervention néocolonialiste de la France, et va jusqu’à accuser des ONG et même Leonardo DiCaprio de mettre le feu volontairement pour toucher des subventions étrangères.

La pression internationale et le ton monte, six pays du G7 soutiennent le président français mais ce sont les menaces sur l’accord UE-Mercosur qui ont raison du déni de Bolsonaro et celui-ci finit par envoyer l’armée en renfort des pompiers. Ce qu’avait fait son homologue bolivien deux semaines plus tôt. Le fond d’urgence mis en place par les membres du G7 pour participer à l’effort contre la dévastation des flammes a été refusé par Bolsonaro de peur qu’il s’accompagne d’une liste d’exigences qui compromettrait sa gestion des politiques environnementales et des terres indigènes.

« L’intervention d’Emmanuel Macron a été vivement critiquée par les partisans de Bolsonaro et même au-delà. Tous y ont vu une menace pour la souveraineté de leur pays. »

Au Brésil où la majorité de la population habite sur les côtes, l’Amazonie c’est loin et sans grand intérêt. L’État y a développé une zone franche pour dynamiser l’économie mais la position enclavée de la région a eu raison de ces stimulus. Le tourisme y est marginal et orienté vers les voyageurs étrangers. Par contre, l’intervention d’Emmanuel Macron a été vivement critiquée par les partisans de Bolsonaro et même au-delà. Tous y ont vu une menace pour la souveraineté de leur pays, de la part d’un pays colonial, qui plus est frontalier du Brésil avec lui aussi des intérêts miniers en Amazonie. Les critiques ont senti que le président français utilisait l’excuse écologique pour étendre sa propre influence sur des territoires riches en ressources naturelles. Pour les Brésiliens, l’Amazonie n’est pas un temple sacré de l’écosystème planétaire. A quel point l’est-il pour les membres du G7 ?

Condamnés à s’entendre

L’intervention des pays développés dans les affaires internes de pays en voie de développement suscite toujours des réticences. Les premiers sont taxés d’ingérence et d’abus de position dominante. Il est encore difficile de reconnaître les Droits humains et les questions écologiques comme suffisants pour légitimer une intervention extérieure, indépendante de la volonté souveraine de l’État en question. Face à une avarice écocide, force est de constater que la nécessaire sanctuarisation d’espaces naturels ne va pas encore de soi. Malgré la multiplication des catastrophes naturelles liées à l’augmentation de la température globale, les feux de forêts gigantesques comme en Australie, en Californie, en RDC et en Amazonie, la mutualisation des mécanismes de réponse devient vitale. Il est encore difficile de quantifier le coût des conséquences humaines, économiques et écologiques de ces événements, pour les comparer froidement aux gains de l’exploitation des zones naturelles. Ce qui est certain c’est que les opinions publiques du monde entier tolèrent de moins en moins l’inaction et le manque de perspectives politiques. La transition dite écologique de repositionnement de l’économie pour une création de richesse décarbonée est une transition longue qui se fera seulement s’il existe une certaine confiance entre les générations. La réaction nerveuse des dirigeants brésiliens est symptomatique de leur culpabilité, cette irritation disproportionnée c’est le plaidé coupable de Bolsonaro.

Crédits photographiques (carte de l’Amazonie avec la localisation approximative des feux de forêt au 23 août 2019) : NASA Fire Information for Resource Management System

Jean-Baptiste Houriez

Jean-Baptiste HOURIEZ est cofondateur et Vice-Président du Cercle Agénor. Il est référent MoDem du 10e arrondissement de Paris. Diplômé en communication politique de l’Institut de Communication de Paris (2012), il a poursuivi sa formation et travaillé au Brésil puis en Inde. Au Brésil, il a notamment participé au Forum social mondial et dirigé plusieurs campagnes d'élus locaux, avant de passer trois années en Inde et d’y obtenir un second master en science politique (2018). Il effectue actuellement un DU Droit des étrangers en France et droit d’asile à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas.

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