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Indépendante, l’Ukraine européenne de Marielle de Sarnez

En janvier 2021, au siège du MoDem, militants, proches et sympathisants ont pu se joindre à l’hommage rendu à Marielle de Sarnez. Tout au long du couloir qui mène à la salle Lecanuet, chaque pas nous faisait découvrir un nouvel épisode de la vie exaltante de notre Marielle. Parmi ces souvenirs, une photo m’a particulièrement touché. Alors que j’écrivais quelques mots dans ce cahier du souvenir, apparait sur l’écran géant un plan paysage de Marielle de Sarnez et Nathalie Griesbeck, pris en contreplongée depuis la foule. Les deux eurodéputées sont sur la scène, couverte de messages en cyrillique et des couleurs bleue et jaune. Cette photo à elle seule nous faisait deviner à quel événement historique elles avaient pris part.

Marielle était passionnée de relations internationales, aucune surprise à la voir prendre la présidence de la commission parlementaire chargée des affaires étrangères. Je crois qu’elle se savait privilégiée d’être née dans un pays à la démocratie si enracinée et si forte, à tel point qu’elle pouvait s’en considérer l’ambassadrice autour du monde. Prendre le pouls des peuples, sentir le frémissement des foules rassemblées pour revendiquer des droits humains fondamentaux, voilà ce qui animait Marielle de Sarnez.

Le jour de cette photo sur la place de l’Indépendance de Kiev, c’est ce qu’elle était venue faire. Et ce n’était pas la première fois qu’elle se rendait en Ukraine.

Un pays tiraillé

Le pays à la marche, sur le bord, telle est la signification littérale du nom Ukraine. On l’appelle encore la Petite Russie, c’était aussi le grenier à blé de l’URSS, son accès aux mers européennes. Et elle est restée la Côte d’Azur des privilégiés et des oligarques.

L’Ukraine se caractérise par sa diversité et ses tiraillements. Ils sont linguistiques et ethniques : l’est et le sud sont russophones, alors que les habitants de l’ouest et du nord parlent l’ukrainien. Et même si les deux langues sont sœurs, de part et d’autre il est mis un point d’honneur à les distinguer. On parle également le tatar dans certaines régions du sud du pays. Ils sont religieux aussi : en plus des chrétiens protestants et des musulmans minoritaires, le schisme de l’Eglise orthodoxe, entre le Patriarcat de Moscou et celui de Kiev, accompagne plus ou moins les frontières linguistiques. Reconnu en 2018 par le Patriarche de Constantinople1, ce schisme aggrave un peu plus la séparation de fait avec les régions en guerre.

Le pays est tiraillé encore par des défis politiques et sociaux, comme tous les jeunes pays issus de l’effondrement de l’URSS. Ces républiques qui subissent les relents impérialistes de la Russie Poutinienne, réalisant le grand écart périlleux consistant à maintenir de bonnes relations avec l’Union européenne et la Russie, tout en maintenant une cohésion sociale fragile. Ces embryons de nation toujours bringuebalées entre la capacité militaire et d’influence russe et les exigences de développement économique et démocratique de l’UE. Avec une division sociologique claire, entre les régions urbaines, éduquées, avides d’intégration européenne, et les populations rurales vieillissantes, frontalières de la Russie, accrochées aux valeurs soviétiques et au culte de l’homme fort.

L’Ukraine, peut-être plus que toutes les Babouchkas ex-soviétiques, souffre de ses dépendances. Même si la colonne vertébrale de l’économie du pays demeure l’agriculture. Le premier fournisseur et le premier client de l‘Ukraine reste la Russie. C’est elle qui lui fournit les hydrocarbures nécessaires au développement de son industrie basée sur ses ressources minières, somme-toute solides.

Sur le plan militaire, le premier président de l’Ukraine indépendante, cadre du parti communiste de l’Ukraine soviétique, Leonid Kravtchouk a abandonné l’arsenal nucléaire soviétique trop coûteux. Ce choix continue d’impacter durablement l’autonomie stratégique du pays. Nombre de pays voisins ont rejoint l’OTAN, l’Ukraine est, elle, restée dans la zone d’influence russe.

Lorsque le pays a finalement accédé aux marchés de capitaux internationaux et intégré le FMI et la Banque mondiale, il est aussi devenu membre de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). Toutes ces institutions financières occidentales participent du financement de la restructuration de l’économie ukrainienne post-soviétique. A chaque crise économique, elle contractera toujours plus de dettes, conditionnées à des réformes structurelles, ce qui la condamne toujours plus aux tiraillements physiques, économiques et mentaux.

L’indépendance

La chute du Mur et l’effondrement de l’Union des Républiques Socialistes et Soviétiques n’ont pas été, pour l’Ukraine, synonymes d’émancipation politique. Le changement des mentalités de tout un pays n’accompagne jamais d’un bloc les événements, aussi radicaux soient-ils. Mais progressivement le pays se rapproche de l’Union européenne, s’adapte à l’économie de marché et le niveau de vie des Ukrainiens s’améliore.

L’un des acteurs de cette embellie économique est Viktor Iouchtchenko. Président de la Banque centrale d’Ukraine de 1993 à 2000, il parvient à instaurer la monnaie nationale, le « hryvnia »2, et stabilise l’inflation jusqu’alors galopante, la confiance dans l’économie du pays s’installe. Son camp est clair car il a de bonnes relations avec les Etats-Unis où il s’est rendu régulièrement. Le prestige de Viktor Iouchtchenko grandit et il est nommé premier ministre du président conservateur Leonid Koutchma. Il ne restera en poste que quelques mois en raison de sa mésentente notoire avec le président, et sera remplacé en 2001 par celui qui restera son rival pour la décennie à venir, le gouverneur du Donbass, Viktor Ianoukovich.

Iouchtchenko, déposé de son poste de premier ministre, conserve malgré tout une forte popularité auprès des Ukrainiens, ce qui lui permet de créer son parti, « Notre Ukraine », et viser la présidence de la République.

Le président Koutchma, lui, s’empêtre dans les affaires de corruption. L’assassinat et la décapitation du journaliste dissident Gueorgui Gongadze qui choque profondément la population, puis le suicide douteux du ministre de l’Intérieur participent aussi du dégout croissant des Ukrainiens contre son gouvernement3. La place Maïdan est déjà le théâtre des rassemblements contre le régime Koutchma.

Porter des vêtements oranges était interdit

L’élection de 2004 opposera donc Viktor Iouchtchenko à Viktor Ianoukovich, les deux favoris. Le premier, proche des Etats-Unis et de l’OTAN, est fort d’un nouveau parti apprécié des Ukrainiens, mais le second, candidat du pouvoir, président du parti des régions, originaire des régions russophones de l’est, jouit aussi d’une sérieuse assise.

Au mois de septembre 2004, alors qu’il dine avec le chef du renseignement de son pays, Iouchtchenko est empoisonné4. Il sera soigné dans un hôpital à Vienne et reprendra sa campagne plusieurs semaines plus tard, défiguré. Il gagne alors la popularité suffisante et la certitude de gagner l’élection.

Mais d’innombrables irrégularités lors du dépouillement des votes du second tour, le 21 novembre 2004, mettent le feu aux poudres et initient la Révolution orange, de la couleur de son parti, dont il est le leader évident. Grèves, manifestations et rassemblements sont organisés pour la tenue d’une nouvelle élection. Alors que la situation est particulièrement instable, le 18 novembre, Marielle de Sarnez se rend en Ukraine pour appuyer les partisans qui tiendront la place Maïdan jusqu’à la tenue d’un nouveau second tour. Celui-ci aura finalement lieu le 26 décembre et Viktor Iouchtchenko en sort victorieux.

Sa présidence est marquée par son incapacité à lutter efficacement contre la corruption et ses difficultés à créer les conditions économiques favorables à l’entrée dans l’Union européenne.

Euromaïdan

Son rival en profite. Après la victoire aux élections législatives de 2006, il reprend le poste de premier ministre et prépare les conditions de sa propre élection à la présidence en 2010.

Ianoukovitch tient la position délicate d’être favorable au rapprochement avec la Russie tout en poursuivant les démarches d’adhésion à l’UE. Position qu’il tiendra jusqu’en 2013. Au mois de novembre, il refuse de signer un accord de libre-échange avec l’Union, pourtant largement plébiscité par la population.

Une nouvelle fois, les Ukrainiens bravent le froid et se rassemblent pour protester place Maïdan. Beaucoup brandissent fièrement le drapeau européen, et certains scandent le slogan : « Україна – частина Європи – l’Ukraine fait partie de l’Europe ».

Ces manifestations et l’occupation de la place sont alors réprimées de manière disproportionnée. Les projecteurs du monde entier se braquent une nouvelle fois sur l’Ukraine, théâtre de l’affrontement est-ouest. La place de l’Indépendance est alors occupée constamment et massivement. En décembre 2013, quelques semaines après les premières répressions, Marielle de Sarnez, accompagnée de Bernard Lehideux et Nathalie Griesbeck, se rend place Maïdan soutenir cette révolution baptisée maintenant par les Ukrainiens « Révolution de la dignité ».

Quelques jours plus tard, le 10 décembre, Catherine Ashton, cheffe de la diplomatie européenne, se rendra à Kiev tenter de convaincre Ianoukovitch de signer l’accord de libre-échange aux origines de la contestation5. C’est le jour que le président ukrainien choisit pour durcir la répression. On assiste à une escalade de la violence jusqu’en février de l’année suivante. On dénombrera plus d’une centaine de morts6.

C’est dans une tout autre atmosphère que Marielle se rend une nouvelle fois à Kiev en ce mois de février 2014. La police et les milices du Berkout tirent alors à balles réelles, et place Maïdan, dans une « ambiance de mort » selon sa plus proche conseillère qui l’accompagnait, elle se fait représentante de toute l’Europe pour dire aux Ukrainiens : « votre combat est juste, accrochez-vous à la liberté ».

Vêtue d’un gilet par balle, elle se rendra de la place jusqu’à l’hôpital de fortune monté dans le Monastère Saint-Michel où les blessés sont acheminés7.

Le président Ianoukovitch fuit sous la pression populaire et internationale le 22 février. Il trouvera refuge en Russie, et de nouvelles élections seront tenues au mois de mai 2014. Entre temps, la vacance du pouvoir pousse des groupes séparatistes appuyés par la Russie dans le Donbass, et la Russie elle-même en Crimée, à envahir ces régions frontalières.

L’occupation

En Crimée, suite à l’invasion russe est organisé un referendum de réunification à la Fédération de Russie. Il sera largement plébiscité le 16 mars 20148. Quant au conflit dans le Donbass, il perdure jusqu’à aujourd’hui, sans nul doute toujours avec la participation active de la Russie et du président ukrainien déchu et ancien gouverneur de la région Viktor Ianoukovitch.

Il n’y a aucune solution politique et diplomatique à ce conflit en perspective. L’Europe tante toujours de maintenir une position de principe et des sanctions suite à l’invasion russe, mais le bras de fer est congelé en l’état. Le pays semble irréconciliable.

Le peuple ukrainien aura démontré son courage et sa détermination pour la liberté. Et Marielle de Sarnez aura été présente, à leurs côtés, dans les moments les plus importants de leur histoire politique récente. Elle ne verra pas l’Ukraine libre et européenne pour laquelle des centaines d’entre eux ont perdu la vie et que des millions d’entre eux continuent à appeler de leurs vœux. Elle aura participé activement et courageusement à ce rapprochement inéluctable, en incarnant simplement et directement l’Europe et ses valeurs.

L’auteur tient à remercier Alexandra Leuliette, Nathalie Griesbeck, Maud Gatel et Anna Timush d’avoir partagé avec lui leurs souvenirs de Marielle de Sarnez et de l’Ukraine lors de la préparation de cet article.

Crédits photographiques (Marielle de Sarnez sur la place Maïdan de Kiev, en Ukraine, en décembre 2013) : image transmise par l’équipe parlementaire de Mme de Sarnez


Jean-Baptiste Houriez

Jean-Baptiste HOURIEZ est cofondateur et Vice-Président du Cercle Agénor. Il est référent MoDem du 10e arrondissement de Paris. Diplômé en communication politique de l’Institut de Communication de Paris (2012), il a poursuivi sa formation et travaillé au Brésil puis en Inde. Au Brésil, il a notamment participé au Forum social mondial et dirigé plusieurs campagnes d'élus locaux, avant de passer trois années en Inde et d’y obtenir un second master en science politique (2018). Il effectue actuellement un DU Droit des étrangers en France et droit d’asile à l’Université Paris 2 Panthéon-Assas.

Notes

  1. Pierre Pistoletti, « Le Patriarcat de Constantinople reconnaît l’indépendance de l’Eglise orthodoxe ukrainienne », Centre catholique des médias Cath-Info, 12 octobre 2018, URL : https://www.cath.ch/newsf/le-patriarcat-de-constantinople-reconnait-lindependance-de-leglise-orthodoxe-ukrainienne/ ; voir aussi : « Religion et politique: ce qu’il faut savoir sur la nouvelle confrontation entre Kyiv et Moscou », Ukraine Crisis Media Center, 21 avril 2018, URL : https://uacrisis.org/fr/66314-religion-politics-ukraine
  2. Voir la note sur l’histoire de cette monnaie sur le site de la Banque centrale ukrainienne, URL : https://bank.gov.ua/en/uah/uah-history
  3. « Ukraine. Une « épidémie » de suicides protège l’ancien président Koutchma », Courrier International, 8 mars 2005, URL : https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/2005/03/07/une-epidemie-de-suicides-protege-l-ancien-president-koutchma
  4. Christophe Châtelot, « L’empoisonnement de Viktor Iouchtchenko raconté par son médecin », Le Monde, 11 juin 2008, URL : https://www.lemonde.fr/europe/article/2008/06/11/l-empoisonnement-de-viktor-iouchtchenko-raconte-par-son-medecin_1056684_3214.html
  5. « Ashton: Ukraine ‘Intends to Sign’ Agreement with EU », Voice of America News, 12 décembre 2013, URL : https://www.voanews.com/a/ashton-ukraine-intends-to-sign-agreement-with-eu/1808673.html
  6. « Ukraine : les événements de la place Maïdan en direct », Arte, 19 février 2014, URL : https://info.arte.tv/fr/ukraine-les-evenements-de-la-place-maidan-en-direct
  7. Au retour de son voyage en Ukraine, Marielle de Sarnez s’est exprimée devant le Parlement européen le 26 février 2014 : cf. https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/CRE-7-2014-02-26-INT-3-744-000_FR.html
  8. « Crimée: le Parlement proclame l’indépendance », Challenges, 17 mars 2014, URL : https://www.challenges.fr/economie/referendum-en-crimee-le-oui-l-emporte-a-95-5_11845

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